De l’égalité à la réalité, en politique Par Didier Raoult

C’est une hypocrisie extraordinaire. « L’égalité », valeur censée présider à nos œuvres est incompatible avec l’économie de marché, en particulier pour les responsables politiques ! Les communistes l’avaient compris, eux qui traduisaient la puissance politique, en avantages en nature réservés à la « nomenklatura ». J’en ai fait l’expérience savoureuse (du caviar trois fois par jour) lors d’une mission scientifique dans l’URSS d’alors. Les comptes bancaires des Russes étaient pleins, mais seule la « nomenklatura » pouvait dépenser son argent.

Mon expérience en France cette fois, se nourrit de deux exemples. En tant que Président d’Université, ma prime d’activité sur l’année 1994 était de 1 000 euros, elle a beaucoup augmenté depuis, pour mes successeurs. Pour moi, par ailleurs professeur de médecine, très bien payé, c’était suffisant, mais pour 90% des autres présidents d’Université, payés la moitié pour travailler 60 heures par semaine, et amenés à côtoyer des riches et des puissants, c’était misérable. Pour eux, comme pour l’ensemble des responsables élus ou administratifs, cette maigre paye était donc partiellement compensée par des avantages en nature : notes de restaurant, voiture de fonction, frais de voyages.

Il n’est pas raisonnable de mal payer les gens qui déterminent notre destin

Au lieu de rémunérer les personnes dans la fonction publique, en proportion de leurs responsabilités, on a laissé s’installer hypocritement un système de compensation de ce manque à gagner par toutes sortes de moyens. La « caisse noire » de l’Etat, rémunérant en argent liquide, ministres et cabinets, a été supprimée par Lionel Jospin, mais on se souvient que Claude Guéant a été condamné, pour avoir perpétué cette habitude devenue illégale quand il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur.

Cette dissimulation aggrave les choses. Les chauffeurs et personnels mis à disposition ont des activités souvent bien éloignées de leur fonction théorique ; les attachés parlementaires ont été considérés comme des avantages en nature par certains ; les missions payées par les autorités municipales, départementales, régionales ou nationales, ont souvent servi de rétribution indirecte, des associations ont bénéficié de subventions indues et complaisantes à un niveau probablement unique au monde, comme en témoignait il y a déjà vingt ans, l’ancien magistrat à la Cour des comptes,  spécialiste du milieu associatif Pierre-Patrick Kaltenbach (auteur de “Associations lucratives sans but”, Denoël, 1995). Et ces pratiques aussi ont fini par être condamnées.

En fait notre passion pour l’égalité, devenue idéologie égalitaire, a entériné la rétribution dans l’ombre des responsables politiques, pour conserver l’illusion qu’ils n’étaient pas bien rémunérés ! On ne peut pas moins payer le Maire de Paris, de Lyon ou de Marseille que le PDG d’une PME ou du supermarché du coin de la rue, au risque sinon de ne plus avoir que des médiocres, des idéalistes déconnectés, ou des hypocrites. La crise du « tous pourris » a ceci de positif, qu’elle révèle une vérité : il n’est pas raisonnable de mal payer les gens qui déterminent notre destin, au risque de les voir tentés en permanence de corriger cette incohérence, par tous les moyens.

Olivia Recasens

Directrice des éditions humenSciences et responsable éditoriale de Belin Sciences et Nature au sein du groupe Humensis, auteur.

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