La société est de moins en moins violente, Par Olivia Recasens
Laurent Mucchielli : Pas du tout. Nous perdons la mémoire dans une société qui ne vit que l’instant et qui reconstruit le passé en s’imaginant que « c’était mieux avant ». Dans les années 1970 et 1980, nous avons connu le terrorisme se revendiquant d’extrême gauche. Et, de l’autre côté, il y avait les séries de meurtres racistes perpétrés par des groupes d’extrême droite nostalgiques de l’Algérie française. On parle ici de plusieurs centaines d’homicides et tentatives d’homicide, largement oubliés donc.
En réalité, ces violences politiques sont en net déclin, à l’image de la violence en général. Les données statistiques sont claires. Les homicides sont de plus en plus rares : au cours des vingt dernières années, ils ont presque diminué de moitié. Durant la même période, les agressions physiques non mortelles déclarées dans les enquêtes en population générale sont globalement stables. Seules les violences verbales ont progressé, sans que l’on puisse dire si c’est leur fréquence qui augmente ou bien la tolérance de la population à leur égard qui s’effrite, les deux étant cumulables. Rien dans tout cela ne permet de soutenir les discours récurrents sur « l’explosion de la violence ». Seules les violences verbales ont progressé, sans que l’on puisse dire si c’est leur fréquence qui augmente ou bien la tolérance de la population à leur égard qui s’effrite.
De même, l’idée d’une augmentation constante de la violence des mineurs est un vieux fantasme. Il remonte au moins aux années 1830, moment où est créée la première prison pour mineurs : La Petite Roquette (1). À force de rajeunir au fil des siècles, des nourrissons-délinquants devraient donc un jour braquer des banques… Ce n’est pas sérieux. Les problèmes existent, il ne faut pas les cacher, mais les dramatiser n’aide pas.
” L’idée d’une augmentation constante de la violence des mineurs est un vieux fantasme. La nature humaine est complexe. Même si nous avons des penchants vers la violence, nous avons aussi envie d’empathie, de coopération, de maîtrise de soi. ”Steven Pinker
Pourquoi alors avons-nous le sentiment inverse ?
C’est le fameux paradoxe de Tocqueville : « Plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qui en reste est perçu ou vécu comme insupportable. » Si un problème est moins grave qu’avant mais que sa représentation fait croire le contraire, alors c’est que l’on ne parle plus exactement du même problème.
D’abord, notre société supporte de moins en moins la violence, notre seuil de tolérance s’est écroulé ces vingt-cinq dernières années. Nous dénonçons aujourd’hui des choses largement tolérées jadis : les violences politiques, les bagarres entre jeunes et les violences policières, comme par ailleurs les violences conjugales et la pédophilie.
Ensuite, la violence est un terrain d’instrumentalisation politique et de spectacle médiatique. Crier à l’insécurité permet de se poser en garant du retour à l’ordre, c’est un grand classique de la rhétorique électorale. Et puis la violence est un spectacle télévisuel, dopé par l’arrivée des chaînes d’information en continu.
(1) Propos recueillis par Olivia Recasens, pour Le Point,