En finir avec le Président ? Par Olivia Recasens
Faire de l’élection présidentielle, une rencontre unique entre les Français et le chef de l’Etat, c’était le sens du suffrage universel direct institué par de Gaulle, il y a 55 ans. Or ce moment essentiel de la vie politique de notre pays est devenu une foire d’empoigne qui répond de moins en moins aux attentes des électeurs. Une perte de sens qui provoque, comme on le voit un peu partout, une dépression de la démocratie et une poussée de fièvre du populisme encouragée par des docteurs Diafoirus. La confiance dans les institutions s’évapore. 8 % seulement des Français croient encore aux partis politiques, 21 % aux députés, quant au crédit accordé aux conseillers régionaux et départementaux il ne dépasse pas les 40 %. Pas étonnant dès lors que, interrogés en 2012, 60 % des sondés aient estimé que la démocratie fonctionnait mal (1).
Faut-il pour autant supprimer le Président, et si oui, pour lui substituer quel système ? Basculer vers un régime parlementaire à l’européenne ou remettre les clefs du pouvoir aux citoyens ? Des questions plus que jamais d’actualité, auxquelles le politologue Olivier Rouquan apporte des réponses originales. (” En finir avec le Président ! “, éditions François Bourin, 128P., 16 euros).
Interview :
Vous accusez le régime présidentiel à la française de la crise politique actuelle, mais est-ce vraiment la caricature que l’on en fait ? Après tout le Premier Ministre dispose de bien des pouvoirs…
Disons d’abord que le régime de la Ve République n’est pas présidentiel : il mélange des traits de régime présidentiel (pouvoirs importants au Président et sa forte légitimité) et des traits de régime parlementaire (un Premier ministre responsable devant l’Assemblée nationale). Si caricature il y a en effet, ce qui n’est pas dans mon propos, elle est dans l’idée d’un Président tout puissant d’une part, et d’un Premier ministre « simple » collaborateur d’autre part.
Donc, en fonction des résultats et de l’ordre des différentes élections (présidentielle et législatives) le Premier ministre et le Président ont des marges de manoeuvre variables. Par ailleurs, le quinquennat a modifié la plasticité et la souplesse de la Ve République. La concomitance des mandats présidentiels et législatifs rend plus difficile la différenciation des rôles du chef de l’Etat et du Premier ministre et cette illisibilité conduit beaucoup à se demander pourquoi deux rôles pour une même fonction exécutive ?
Pourquoi affirmez-vous que la désagrégation du présidentialisme a culminé lors de la pré-campagne de 2016 ?
Je n’affirme pas que nous assistons assurément à la désagrégation du présidentialisme. Il me semble que cette pré-campagne indique que l’élection présidentielle en tant qu’élection structurante du jeu, permettant de mettre en ordre les partis et les majorités, atteint ses limites. L’évolution a été engagée il y a au moins 20 ans. Mais là, cela devient épique !
Par ailleurs, le quinquennat brouillant les légitimités pose des problèmes au Président : depuis lors, il n’utilise quasiment plus ses prérogatives propres, celles fondant son autorité sur le jeu (dissolution, référendum,…). Et comme vu, aucun sortant depuis 2002 n’a pu être réélu et cette fois-ci, le sortant ne peut même pas se représenter !
Si cela continue, il y aura progressivement dé-présidentialisation du jeu politique et finalement, l’ultra-personnalisation de la présidentielle à l’heure des médias instantanés aura un effet délétère sur l’autorité de la fonction. On ne peut pas incarner l’Etat avec force, si l’on est issu d’une élection ressemblant trop à un Carnaval. Il faut donc trouver des moyens de sortir de l’impasse dans laquelle le quinquennat a mis ce régime.
Le quinquennat a été conçu pour rétablir un équilibre de pouvoir entre le Président et le Parlement et pour limiter le risque de cohabitation, or vous l’accusez d’avoir aggravé la perte de confiance des citoyens en leur élus !
L’indice de la confiance politique est devenu celui de la défiance. Evidemment d’autres facteurs interviennent dans la désagrégation du rapport au politique (mondialisation, chômage, transformation des cultures,…), mais désormais, le fonctionnement institutionnel contribue aussi à la perte de confiance. Le quinquennat empêche le Président de remplir la mission première qui est la sienne : garantir, arbitrer et veiller, au nom des orientations politiques de moyenne portée. Cinq ans, c’est court, surtout si encore une fois, le sortant n’est pas en situation d’être réélu. Si le quinquennat est confirmé, mieux vaut harmoniser la situation française, et comme ailleurs en Europe, avoir un Premier ministre fort et un chef de l’Etat arbitre au sens littéral du terme soit, en retrait. Pour le reste, la réduction des probabilités de cohabitation n’a en rien permis de limiter la défiance.
Les Français sont pourtant, dans leur grande majorité, attachés à la fonction Présidentielle. Encore un ” french paradoxe ” ?
Certes, il y a toujours un rêve de Grandeur et un attachement aux figures légendaires. Mais depuis François Mitterrand au moins, les héros sont fatigués. Tout simplement, la mondialisation a relativisé la puissance devenue fort moyenne de la France et la dominance anglo-saxonne normalise son « modèle ».
Alors, le chef de l’Etat gaullien est devenu impossible : il est trop souvent en situation d’échec ; Jacques Chirac et la fracture sociale, Nicolas Sarkozy et la valeur travail, François Hollande et la courbe du chômage… La parole présidentielle est relativisée, le dernier quinquennat étant de ce point de vue, symptomatique. Les Français sont en transition culturelle. Ils pourraient trouver de l’intérêt à une démocratie plus délibérative et apaisée, moins clivée par le spectacle trompeur et circacien du « Je »présidentiel.
Supprimer le Président, mais pour quoi faire ? Basculer dans un régime parlementaire ?
D’abord, l’ouvrage propose bien deux options : l’une d’un maintien d’un Président clé de voûte, à condition de revenir à un décalage des mandats : 6 ans pour le PR, 4 ans pour les députés ; l’autre option réside en effet dans un régime parlementaire, qui sera comme en Allemagne ou ailleurs en Europe, dominé par un Premier ministre qui aura le droit de dissolution et le droit référendaire… Que je sache, la qualité de la démocratie n’est pas moindre chez nos voisins européens et le populisme y est parfois moins proche d’accéder au pouvoir central.
Pourquoi êtes vous opposé à la suppression du Sénat, que beaucoup considèrent comme sclérosé, voire obsolète ?
Il faut dans notre patrie aux terroirs si variés, une chambre représentant les territoires, soit les régions, métropoles, départements et réseaux de communes. Tel est le rôle premier du Sénat. Je suis donc pour un Sénat réduit à 70 sénateurs environ, élus sur bases régionales (en respectant le critère de la population). Cela permettrait de donner plus de visibilité nationale à la décentralisation, et de le faire sur une base plus légitime. Les élections directes des sénateurs seraient d’ailleurs couplées avec celles des régions et autres collectivités pour leur conférer une cohérence.
On peut considérer les primaires comme le moyen de renouveler l’intérêt du citoyen pour la vie politique et donc de renforcer la participation à la démocratie, or vous les qualifiez de ” fausse bonne solution ” !
Disons, qu’elles me laissent dubitatifs. Elles sont un moment d’expression démocratique incontestable. Mais l’intérêt d’un dispositif est d’organiser le jeu, pas de le rendre plus incompréhensible, voire chaotique. Or, l’expérience de 2017 éclaire : quel ordre sort des primaires de droite et de gauche ? Un candidat de droite sitôt désigné remis en cause pendant des semaines, avec propagation du doute à l’UDI, aux Républicains, avec un début de fuite de l’électorat vers les rivaux ! A gauche, la primaire de la belle alliance populaire ouvre la voie à un candidat si rassembleur, qu’il passe les premières semaines de sa campagne à essayer de négocier avec les Verts et n’y arrive pas avec Jean-Luc Mélenchon… Rien ne dit aussi qu’il emporte l’adhésion de ses anciens rivaux et de leurs troupes. L’effet primaire a duré pour lui une semaine : il a reperdu 4 points dans les sondages !
En fait, il me semble que l’erreur réside dans la généralisation des primaires, soit la volonté de les institutionnaliser qu’ont certains. Cela peut être un outil ponctuellement utile, mais cela n’est pas automatiquement un instrument de consolidation de l’ordre démocratique. Du reste, deux tours de primaire pour chaque grand parti, plus deux tous de présidentielle, plus deux tours de législatives en un an, cela fait beaucoup ! Cela renforce la personnalisation, forge de l’abstention aux législatives et use la légitimité donc à terme, la confiance. En termes de bilan institutionnel, on peut mieux faire.
Vous défendez, à l’inverse la pratique référendaire, mais tout le monde n’est pas de Gaulle et certains de nos Présidents y ont laissé des plumes…
J’insiste surtout sur un rapprochement élu-électeur en cours de mandat via notamment les Civic-tech, afin que l’inclusion des publics soit plus constante. Le référendum est l’un des outils. Et, il est dangereux, devant donc être utilisé rarement et sur des enjeux marquants. Il sert à renouer la confiance entre l’élu de la Nation et le peuple. De Gaulle le premier y a laissé des plumes, car il s’en est servi comme d’un 49.3 présidentiel. En cas de refus de confiance, il démissionnait, ce qu’il fît en 1969. Cela a le mérite de responsabiliser le présidentialisme.
Jacques Chirac par deux fois (quinquennat et surtout Traité européen) a pratiqué le référendum à rebours de l’inspiration gaullienne. Depuis, plus rien ! Donc, si l’usage du référendum doit retrouver un peu de vigueur, il faut prévenir toute dérive populiste en instaurant préalablement un contrôle de constitutionnalité et peut-être en revenir à la convention gaullienne. Cela éviterait les fins de mandat inutiles car paralysées (Chirac entre 2005 et 2007).
N’y-a-t-il pas une leçon à tirer d’un mouvement comme celui des Indignés en Espagne, qui a su s’incarner en parti politique, Podemos, relativement représentatif du mouvement populaire spontané initial ?
Bien sûr ! Ce mouvement émergent indique à quel point l’intérêt pour la vie de la cité reste la base du lien social. La politique reste au cœur des préoccupations. L’expérience est d’autant plus intéressante qu’elle n’en est pas restée à l’état de laboratoire ; elle a débouché sur des prises de pouvoirs locaux et sur des résultats honorables au Parlement. Même si le parti est en crise de croissance et doit trancher entre une posture d’opposant ou de parti de gouvernement, cette créativité espagnole indique à quel point les partis politiques sont le socle de la démocratie. L’essentiel ne réside pas dans l’attachement névrotique à un Président, mais dans l’apprentissage et dans le développement de collectifs capables de prendre des responsabilités. La démocratie est avant tout délibérative, même si elle a besoin d’efficacité et d’incarnation. L’histoire française a aussi été construite autour de ces principes.
(1) Sondage ViaVoice, FJJ, Revue civique, 5-9 septembre 2016, sur 1000 personnes, quotas, stratification.