Olivia Recasens

Editrice, auteure | Société, Sciences, Nature, Débat

Olivia Recasens
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Comment tout a commencé….

Voulez vous lire un livre entièrement écrit à la main ? (Et pourtant très lisible). Un livre qui vous raconte comment la vie a commencé (un peu) ? Et surtout comment, il y a 2 milliards d’années, un écosystème avec des espèces grandes comme la main est apparu sur Terre. A vécu, trois cent millions d’années. Puis a disparu pour laisser place à des êtres microscopiques durant un long et ennuyeux milliard d’années. Un livre illustré par son scripteur et dessinateur, Adelina Kulmakhanova, un Kazakh connu… des lecteurs du Canard Enchaîné. Oui, ça vous tente ? Alors courrez acheter Comment tout à commencé sur la Terre, d’Abderrazak El Albani, Roberto Macchiarelli et Alain Meunier.

Échantillons de schiste

Savoir exactement comment la vie à commencé sur la Terre demeure en grande partie mystérieux. En revanche, aucun mystère ne règne sur l’origine de ce livre original dans sa forme, passionnant par son contenu. Tout à commencé ce jour de janvier 2008 lors d’une mission d’une semaine au Gabon, conduite par Abderrazak El Albani – géologue au laboratoire Hydrasa de l’Université de Poitiers – dans le cadre de l’établissement de la carte géologique du pays par le BRGM. Pourquoi Poitiers ? Parce que cette Université a une tradition d’accueil d’étudiants du Gabon. Or, la mission comprend le financement d’une thèse pour un de ces étudiants. Sur le terrain, l’équipe trouve une magnifique coupe, fraîchement entretenue par les engins qui exploitent une carrière. Or, dès qu’Abderrazak El Albani et son équipe collectent des échantillons  de schiste, ils y remarquent des formes de plusieurs centimètres. Des fossiles ? Dans un terrain de quelques centaines de millions d’années, cela serait évident. Mais ces roches sont censées être âgées de deux milliards d’années, remontant à une époque où seuls existaient des formes de vies unicellulaires et microscopiques.

De retour à Poitiers, une première analyse des roches laisse baba les chercheurs. Il semble impossible d’expliquer autrement que par un processus de fossilisation de formes de vie les étranges et souvent très belles traces trouvées dans le schiste gabonais dont l’état de conservation est extraordinaire.

Trois mois plus tard, Abderrazak y retourne pour une collecte acharnée… qui se termine par un dernier morceau de rocher qui se révélera la star de la collection et fera la Une de Nature en 2010.

Ton personnel

Commence alors une saga scientifique d’envergure, qui donnera lieu à des publications prestigieuses, à la réécriture des manuels universitaires et à d’intenses polémiques. Les trois auteurs ont décidé de la raconter sur un ton très personnel, d’exposer sans fard les réactions négatives des uns et des autres, les difficultés à financer leurs recherches (lire ici cet article relatant comment l’Agence nationale de la recherche a systématiquement refusé toutes leurs demandes). Cet épisode ne fait désormais plus de doute quant à son existence. Il faut donc accepter que des formes de vies multicellulaires, formant tout un écosystème, ont précédé de plusieurs centaines de millions d’années l’explosion cambrienne censée être le vrai démarrage de la vie complexe après plus de trois milliards d’années de formes de vies unicellulaires et marines. Mais aussi que ces formes de vie, probablement favorisées par une concentration d’oxygène dans l’air plus importante durant trois cent millions d’années, ont ensuite disparu lorsque la teneur en oxygène est retombée. Cette découverte a boosté la recherche sur cette période de l’histoire de la Terre jusqu’alors peu étudiée.

Extinctions

Mais les auteurs ont eu la bonne idée de dépasser les bornes chronologiques de leur découverte. D’exposer où en est la recherche sur l’émergence de la vie sur la Terre, de donner les clefs de la géologie, de l’histoire de notre planète, de l’évolution biologique, des grandes extinctions… mais aussi de l’une des questions majeures de notre temps : la crise climatique que nous avons provoqué par l’usage massif du  carbone fossile du charbon, du pétrole et du gaz.

La plupart des lecteurs y découvriront cet épisode connu des nucléaristes : il y a deux milliards d’années, sur le site d’Oklo, au Gabon, la circulation des fluides a provoqué la concentration d’uranium au point de réunir, en dix-sept endroits au moins, la « masse critique » nécessaire au déclenchement de la réaction en chaîne. Oui, celle qui fait fonctionner les réacteurs nucléaires permettant de produire de l’électricité. A l’époque, l’uranium terrestre est encore constitué de 4% de son isotope 235, celui qui est fissile (aujourd’hui, ce taux ne dépasse pas 0,7% dans l’uranium naturel). Il est donc plus facile de parvenir à cette masse critique. Ces réacteurs naturels ont fonctionné par intermittence durant 800 000 ans. Et leurs déchets nucléaires, les atomes issus des réactions, sont toujours là, coincés dans une gangue d’argile (si cela vous rappelle le projet d’enfouissement géologique des déchets (Cigeo) de nos centrales à Bure vous n’avez pas tort).

Sylvestre Huet

(1) Comment tout à commencé sur la Terre, Abderrazak El Albani, Roberto Macchiarelli et Alain Meunier, dessins par Adelinaa. HumenSciences, 26 €, 192 pages.

Sur le blog :

► La preuve de la mobilité de certaines des formes de vie il y a 2 milliards d’années.

► Dans Le Monde en avril dernier, mon reportage dans le laboratoire d’Abderrazak El Albani (réservé abonnés).

► le premier article sur cette histoire, en juin 2010 (blog Libération).

► Les yoyos de l’oxygène sur Terre et l’histoire de la vie (blog Libération).

► Pourquoi le site gabonais propose t-il des fossiles de 2,1 milliards d’années sans équivalent ailleurs dans le monde ?

Olivia Recasens

Editrice (Tana) et auteure

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